[Covid-19] Interview de JOËL BEYLER, président de la Fédélab

Malgré une présence numérique de plus en plus forte, les labels souffrent également du confinement dont les revenus proviennent encore en France pour près de la moitié des ventes physiques. Nous avons voulu en savoir plus en interrogeant Joël Beyler de la Fédélab, la Fédération des labels indépendants du Grand Est.

Peux-tu nous rappeler ce qu’est la Fédélab ?

Joël : La Fédélab est la fédération des labels indépendants et producteurs phonographiques du Grand Est. Elle a pour but l’aide au développement et la valorisation des labels indépendants, qui constituent un maillon essentiel de l’écosystème musical. La Fédélab a été créée en 2014 autour de l’idée de fédérer les labels, d’échanger sur leurs situations et leurs problématiques, avec l’ambition de faire un travail de lobby politique et institutionnel. Nous trouvions que les labels, le secteur de la musique enregistrée en général et par extension les métiers de l’entourage de l’artiste (manager, tourneurs, éditeurs, … réunis aujourd’hui sous l’appellation développeurs d’artistes) étaient absents des discussions, des dispositifs de financements et des politiques culturelles locales.

Notre volonté est de défendre la juste place qu’occupent les labels au sein de la filière musicale, en mettant en avant l’importance de leur travail dans le développement des groupes et artistes. Les labels indépendants sont parfois les premiers partenaires de l’entourage d’un l’artiste et ils dépassent largement leur fonction première de label : ils s’occupent aussi du booking, du management, de la promotion de l’artiste, etc.

L’accompagnement des labels est essentiel pour l’accomplissement des artistes et leur accès à un public plus large. Les labels indépendants sont aussi les garants de la diversité musicale. Ils défendent des musiques bien souvent ignorées par les médias dominants.

Toutefois, le travail de développement ne se fait pas seul et d’autres compétences sont à fédérer autour des projets artistiques pour qu’ils se grandissent. Le développement artistique est une histoire de réussite, de talents, de chance surement aussi, mais également de complémentarité entre les acteurs et de fédération des forces en présence.

Quels échanges as-tu avec les adhérents de la Fédélab ?

J. : En temps normal, les formes d’échanges avec nos adhérents sont multiples : mails, coups de fil, rendez-vous, réunions de travail, assemblées générales, ou encore temps informels au détour d’un concert, d’un festival… La Fédélab fonctionne avec des moyens totalement bénévoles, ce qui limite forcément son action. Depuis 2 ans, nous sommes focalisés sur le Grand Est, ce nouveau territoire et les nouvelles opportunités qui l’accompagnent. Dans un premier temps, la Fédélab s’est ouverte à ce grand territoire et surtout, elle s’est d’emblée inscrite dans la dynamique de structuration d’un réseau de filière Grand Est. Comme je le disais, l’action isolée d’un label n’a pas d’intérêt mais prend sens lorsqu’elle s’articule avec les autres maillons de l’écosystème musical. Ensemble, les acteurs de la filière peuvent identifier des carences, des problématiques qui individuellement les dépassent, mais qui peuvent collectivement être résolues. Naturellement, certains échanges que nous avions au sein de la Fédélab se sont transférés vers le réseau des acteurs musiques actuelles du Grand Est, qui a formalisé son existence par la création d’une association de préfiguration, le 5 mars dernier, à l’aube du confinement, après 2 années d’un processus d’interconnaissance, de débats et de riches échanges. Puis est arrivé le confinement… Toutefois, les échanges se poursuivent au sein du réseau, par mail, par visio, de nouveaux outils collaboratifs sont expérimentés.

Comment les labels vivent-ils d’être contraints de ne pouvoir compter que sur les ventes numériques et plus largement les aléas de la crise ?

J. : Le confinement nous a tous surpris. Il est arrivé si subitement que personne ne l’a anticipé, n’a pu s’organiser en conséquence. Tout s’est arrêté brutalement. Près de 40 % des ventes de musique enregistrée en France sont encore liées aux supports physiques, même si ce chiffre est en baisse au fil des années. Pour les labels indé, le physique représente même encore parfois 80 % du chiffre d’affaires, selon une enquête récente de la FELIN. Et les ventes se font souvent au stand de merchandising, à la sortie des concerts. Comme nos adhérents sont souvent également tourneurs, éditeurs, etc., c’est souvent la double ou la triple peine. Donc effectivement, coup d’arrêt pour le ventes physiques, les magasins sont pour la plupart fermés, la distribution physique bat de l’aile également. La vente par correspondance demeure à minima, grâce aussi au réseau des disquaires indépendants, dont certains poursuivent l’activité de VPC.

Bien souvent, les productions sont lancées, les dépenses décaissées, le pressage engagé, les investissements de trésorerie réalisés … cependant, il convient sans doute dans bien des cas de décaler la sortie de plusieurs mois, sans visibilité… Aucune entrée d’argent n’est donc envisageable à court terme.

Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, le streaming aussi semble baisser en cette période. Les habitudes de consommation musicale sont elles aussi chamboulée. Chaque jour ressemble à un dimanche.

Mais surtout, c’est tout le cheminement stratégique qui est bouleversé. Une sortie d’album, d’EP, de single ou de clip se prépare plusieurs mois à l’avance. En quelques jours, les retro-planning ont volé en éclat. Les dynamiques de promotion, les tournées qui accompagnement les releases, sont complétement à plat.

As-tu des échanges avec les autres acteurs similaires de la filière, à savoir les structures production et de développement d’artistes ? Les réactions sont-elles globalement les mêmes ?

J. : Oui, on a de nombreux échanges avec nos partenaires, tourneurs, manageurs, agences de relation presse, éditeurs, distributeurs. Tous sont dans l’incertitude, personne n’a de recette. Tous s’inquiètent de tous ses reports, des goulots d’étranglement qui vont naturellement se créer… Comment les médias, les magasins, les plateformes de streaming vont-elles gérer ces flux ? Et aussi, comment les artistes vont-ils survivre dans une économie aussi incertaine, avec un spectacle vivant en berne ?

Beaucoup d’inquiétudes sont exprimées, nos structures sont souvent fragiles, et nous ne mesurons pas les impacts financiers à long terme de cette crise sanitaire. Par-dessus tout, ce qui semble le plus complexe à appréhender, c’est l’incertitude, le fait de ne pas savoir quand ça s’arrêtera, de quoi sera fait demain, l’incapacité de poser des cadres et des repères.

Tu es également aux commandes du label #14 Records. Comment l’équipe et les artistes du label faites-vous fasse à la situation ?

J. : On s’adapte comme on peut. On est une petite équipe avec des frais de structure relativement légers, naviguer à travers la houle est d’autant plus facile. Mais certains projets sont stoppés nets. L’album Nightclub de Claire Faravarjoo venait de sortir et nous le défendions, corps et âme, niveau média et niveau live. Il va falloir reprendre tout ça plus tard, en espérant que la dynamique puisse repartir de plus belle. La sortie suivante, le nouvel album des folkeux The Yokel, initialement prévue pour la fin du mois de mai, était bien engagée également : vinyles et CD commandés, promo en cours, tournée chapeautée par l’agence de booking bien en place… là aussi, il va falloir adapter le planning et croiser les doigts niveau trésorerie… ou mobiliser les différentes aides ou fonds de soutien qui sont proposés par l’état, les collectivités et les différents organismes professionnels.

Côté artistes, on a pris des nouvelles des uns et des autres. Tous ne vivent pas le confinement de la même façon. Certains sont confinés en famille, d’autres seuls. Chacun s’adapte comme il peut. La période est plutôt créative, avec plus ou moins de contraintes. Live confinés, nouveaux morceaux, publications de playlists, relations réinventées avec les fans, etc. Les artistes remplissent notre confinement de musique avec énormément de générosité, et c’est tant mieux. Mais une chose est certaine : chacun.e s’interroge sur les stratégies à adopter à court, moyen ou long terme. Que va-t-il ressortir de tout cela ? Et surtout que nous réserve l’avenir d’un point de vue économique ? Quand vos reprendre les lives, les cachets qui en découlent et les droits sociaux afférents ?

As-tu déjà une idée des mesures qui pourraient limiter les dégâts provoqués par cette crise pour les structures que tu représentes ?

J. : De nombreuses mesures voient le jour mais chaque fois que j’en découvre une, je me dis qu’il y a toujours un aspect qui fait qu’elle ne correspond pas à la situation vécue par les acteurs. Les prêts relais de trésorerie ? Parfaits pour passer le cap … mais quid des pertes d’exploitation ? Les fonds de solidarité ? Encore faut-il remplir les conditions… Le chômage partiel pour les intermittents ? Encore faudrait-il que les décrets paraissent pour qu’employeurs et salariés puissent savoir quelle partition jouer…

Je crains que nous ne soyons qu’au début de cette crise et que nous ne faisons qu’effleurer à ce stade les conséquences économiques, qui risquent d’être durables. Les pratiques et les usages vont sans doute être bousculés, de nouvelles solidarités nationales et locales doivent être inventées, des nouveaux paradigmes de développement doivent émerger.

Dans l’immédiat, mes pensées vont aux camarades de la filière, festivals, salles, développeurs, artistes… qui traversent une période difficile. Je suis persuadé que c’est tous ensemble que nous nous en sortirons.

Encore un défi que doit relever le secteur musical…

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