Découvrez la plaquette de saison 2020/21 de l’OPÉRA NATIONAL DU RHIN

Edito

L’amour est-il toujours asymétrique ? Telle est la question que posent les ouvrages à l’affiche de l’Opéra national du Rhin en 2020/2021. Que ce soit l’amour traître de Dalila pour Samson, l’amour sorcier d’Alcina pour Ruggiero, l’amour sacrifié d’Antigone pour Hémon, l’amour contrefait de Pinkerton pour Madame Butterfly, l’amour fuyant de Peer Gynt pour Solveig, chez tous ces couples dépareillés le déséquilibre crée la tragédie. Et cette asymétrie est poussée à l’extrême dans La Mort à Venise, quand l’amour platonique d’un artiste vieillissant se heurte à l’indifférence lointaine d’un adolescent inconnu.

L’opéra a besoin de tels vertiges pour activer le drame. Et pour que la musique exprime l’indicible : un désir brûlant qui se fracasse sur un mur d’indifférence ; des illusions qui s’effondrent comme le château d’une magicienne ; une attente faite poésie, que ce soit celle de Butterfly ou de Solveig, guettant le retour du printemps qui annonce celui de l’être aimé.

Si les attentes des personnages lyriques sont souvent déçues, la vôtre, chère spectatrice, cher spectateur de l’OnR, ne le sera pas. Pour 2020/2021, Eva Kleinitz avait imaginé une quatrième saison à son image : généreuse, contrastée, belle. Le destin a voulu qu’Eva nous quitte en mai 2019 sans avoir pu achever ce quatrième chapitre de l’histoire intense, mais trop courte, qu’elle avait commencé d’écrire en Alsace. Après sa disparition, c’est Bertrand Rossi, directeur adjoint devenu directeur général ad interim, qui a parachevé cette programmation. Je tiens à le remercier aujourd’hui d’avoir tenu la barre du vaisseau OnR pendant les mois difficiles qui ont suivi le décès d’Eva. Cette saison porte leur deux signatures.

Je rends aussi hommage aux équipes de l’OnR. Forces artistiques, services techniques, équipes administratives, toutes et tous ont continué à travailler avec un dévouement sans faille pendant des mois marqués par le deuil et l’incertitude. Puis, peu après mon arrivée en janvier 2020, toutes et tous ont maintenu le cap lors des semaines éprouvantes que nous avons traversées ensemble au printemps, quand une crise sanitaire sans précédent a touché la planète entière – et le monde du spectacle vivant en particulier.

Il me faut évoquer en quelques mots ces temps difficiles, car les mois et années à venir en porteront les traces. Depuis la mi-mars 2020, toutes nos représentations ont dû être annulées, afin de préserver la sécurité du personnel de l’OnR, desartistes invités et du public. À l’heure où j’écris ces lignes, nous espérons pouvoir reprendre nos activités au début de la saison 2020/2021. C’est la raison pour laquelle cette brochure présente le programme tel qu’il a été planifié depuis de nombreux mois. Sachez toutefois que la saison 2019/2020 n’en restera pas là. Pendant la période de confinement, nous avons continué de construire les saisons futures, et nous avons pu y intégrer la plupart des spectacles annulés au printemps dernier. Dès lors que les conditions de sécurité sont assurées, notre plus cher désir reste toujours le même : que le spectacle continue.

Aujourd’hui, j’ai donc une pensée toute particulière pour les équipes de l’OnR, et pour Eva, au moment de prendre le relais et de signer pour la première fois l’éditorial d’une brochure de saison.

J’ai déjà évoqué les opéras à l’affiche. Mais je n’ai pas encore parlé du plus craquant d’entre eux, l’inaltérable Hansel et Gretel d’Engelbert Humperdinck, ouvrage très populaire chez nos voisins allemands, mais qui sait aussi charmer les spectateurs français. Tous ces titres seront défendus par des équipes engagées et talentueuses. Nous retrouverons ainsi des artistes comme Marie-Eve Signeyrole, Ariane Matiakh, Pierre-Emmanuel Rousseau, Giuliano Carella ou Marko Letonja. Mais nous accueillerons aussi quelques personnalités nouvelles : les metteurs en scène Jean-Philippe Clarac, Olivier Deloeuil et Serena Sinigaglia, le chef spécialiste de musique baroque Christopher Moulds et le compositeur Zad Moultaka, pour une création mondiale d’envergure qui constituera la pierre angulaire du festival ARSMONDO. Un autre nouveau venu, des plus réputés, ouvre les festivités : le metteur en scène catalan Calixto Bieito avec Solveig (L’Attente), forme originale qui revisite le Peer Gynt d’Ibsen et Grieg.

Dans le domaine chorégraphique également, c’est une forme de continuité qui régnera en 2020/2021, le directeur de notre Ballet Bruno Bouché poursuivant son exploration d’une danse protéiforme et puissante, jamais déconnectée du monde contemporain. Outre un nouvel épisode du cycle Spectres d’Europe, un spectacle mixte sera consacré à Mozart, sur lequel de jeunes chorégraphes issus de notre compagnie poseront un regard actuel. Et nous retrouverons deux succès des saisons passées : le formidable Chaplin et l’entêtante Maria de Buenos Aires. Pour sa part, Bruno Bouché signe une grande forme inspirée des Ailes du Désir, l’illustre film de Wim Wenders qui semble avoir été rêvé pour le monde de la danse et son apesanteur. En une sorte de réponse aux effusions contrariées de la programmation lyrique, ces Ailes du Désir nous montrent que l’asymétrie peut se résoudre, lorsqu’un ange se fait humain pour l’amour d’une mortelle.

Comme c’est l’usage depuis quelques années, le jeune public sera choyé : deux opéras d’après des contes fameux (une déclinaison d’Hansel et Gretel pour les familles ; une Cendrillon rossinienne de poche) ainsi que le spectacle de ballet mozartien seront enrichis des traditionnelles séances « avec mon cous(s)in » et de nombreuses rencontres. On retrouvera les jeunes artistes de notre Opéra Studio dans nombre de ces manifestations. De même, nous renouons avec les « Midis » rebaptisés « Heures lyriques », la série de récitals de chant, de nombreux concerts et rendez-vous avec le public, etc.

Enfin, le festival ARSMONDO promet de nouvelles explorations passionnantes dans un pays aux cultures plurielles : le Liban. Pour cette manifestation interdisciplinaire que l’OnR porte depuis 2018 comme un bel héritage d’Eva Kleinitz, on ne pouvait rêver pays plus riche. Par la mosaïque de religions, de langues et de cultures qui a marqué son histoire, le Liban est l’incarnation de notre époque multiculturelle et de cet art de la rencontre qui est propre à l’opéra. Et si la diversité libanaise n’a pas été sans heurts ni tensions, au gré d’une histoire meurtrie par une longue guerre civile, il importe toutefois de continuer d’affirmer notre attachement à toute forme de dialogue – entre les arts comme entre les pays, les cultures, les religions – dans un constant esprit d’ouverture.

« Ouverture » était d’ailleurs le maître-mot de la politique artistique d’Eva Kleinitz. Cette ouverture demeure après elle, comme un legs précieux qui sera affirmé à chaque instant de cette saison 2020/2021 et dont nous saurons nous souvenir dans les saisons à venir. Ce désir d’ouverture nous conduit à resserrer les liens avec les institutions alsaciennes, et d’abord avec nos deux partenaires permanents, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et l’Orchestre symphonique de Mulhouse, mais aussi avec les théâtres qui accueillent une part importante de nos activités : La Filature et la Sinne à Mulhouse, le Théâtre municipal et la Comédie de Colmar. De même, la collaboration avec le festival Musica se renforce, ainsi qu’avec tous les partenaires d’ARSMONDO.

Plus que jamais, nous sommes convaincus du sens et de la nécessité qu’ont nos métiers. La crise du Covid-19 a révélé de nombreux aspects de notre société, ses forces mais aussi ses faiblesses. Elle a surtout mis en lumière l’importance vitale des pratiques sociales pour nos sociétés démocratiques. Les arts dits « vivants » le sont précisément parce qu’aller voir un spectacle, c’est se risquer au-dehors, se confronter au monde, côtoyer autrui et vivre un moment artistique de manière collective.

Conscients de l’importance qu’ont nos lieux de spectacle pour vous accueillir et vous faire passer des instants mémorables tous ensemble, nous vous souhaitons, chères spectatrices, chers spectateurs, une saison 2020/2021 riche en découvertes majeures, en débats passionnés, en émotions retrouvées.

Alain Perroux

www.operanationaldurhin.eu

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