communiqué
« Bête à cornes, femme sans tête, oiseau doré et chouette en vol de nuit. Chevelure rouge. Flûte et harpe, tambours de troubadours. Féminité issue du fond des âges, puissance rayonnante, démon assumé, renversé en un gigantesque épanouissement matriciel. Lolomis est une sorcellerie qui procède sans formules toutes-faites, dans la spontanéité des chants anciens, des langues enchevêtrées de l’Est immense, sans origine, avec ses peuplades indéfinies, ses frontières irréelles et son imaginaire sans limites. L’Est, c’est la nuit, ce qui demeure tapi et se noue longuement sous terre, des siècles durant. Il n’y a là aucune logique, rien d’ordonné parce que tout y est à hauteur d’humain, histoires orales dégouttant de sang et de fatalité, animaux cloués, enlacements sauvages et vieilles superstitions. Faire passer cette immensité sans queue ni tête, ce tourbillon de fer et de sève dans une forme musicale est une gageure. Loin de jouer la carte passéiste, ou pire, celle de quelques punks proto-tziganes de salon, les quatre musiciens de Lolomis raccordent le vieux fond nordique, balkanique et slave, avec le Caucase derrière, à une modernité musicale où se conjuguent les influences du hip hop et de l’électro.
Un choix mûrement réfléchi et qui ne constitue en rien une trahison ou un abandon à la superfluité sans espoir ni ancrage de l’époque. L’opération est certes délicate. C’est un jeu de contrastes entre l’électronique, le synthétique, encore discrets, et qui accentuent ici la force pulsionnelle, là des couleurs d’arrière-fond, plus loin le pouls de la danse, et puis l’acoustique, ces flûtes obsédantes de Stélios Lazarou qui tournent en rondes de sabbat et ces cordes de la harpe d’Elodie Messmer qui lient à la dureté païenne des rythmes de Louis Delignon une rêverie de profondeurs marines et de féeries bercées par les vents. Au centre de ces tableaux mouvants, la voix enfin, d’une sensualité presque brutale, de Romane Claudel-Ferragui, tireuse de tarots aux accents rudes et suaves, devineresse gouailleuse d’avant le péché originel. Avec une telle configuration de ténèbres et de rayonnisme, d’indéfini rampant et de merveilleux évanescent, Red Sonja tient de la musique d’adoration. Partout le rituel, la prière aux divinités naturelles et l’aveu de l’amour dans la chair, la brûlure de passion sur les lèvres, les étreintes désordonnées, le chaos d’animalité. Beauté noire et teint clair, comme le chante Romane dans Morena.
Le titre de l’album renvoie quant à lui à une super-héroïne de Marvel, cette rousse barbare, « démone à l’épée » et au string de métal – les Américains ont de ces fantaisies mythologiques. Les stéréotypes de la sur-sexualité, l’ogre Lolomis les engloutit bien volontiers, en se léchant ensuite les babines. Le groupe ne craint pas une image de plus, même dans son outrance de comics. Aucune n’épuise ce qui, d’album en album – Red Sonja est déjà le troisième – ne cesse de croître en importance et en évidence : ce féminin hors de tout discours, qui se confond avec la musique en ceci qu’il est pur événement et que le langage s’épuiserait à le vouloir dire. Bien sûr, cela n’est pas conceptualisé par le groupe, ce serait l’assurance d’un échec. L’artiste écoute, fait passer, ouvre les flux, met en mouvement, canalise – le pourquoi de l’opération ne lui importe pas. Pour accomplir cette grande régulation qui mène à l’expression, il lui faut une charpente des plus solides en même temps qu’une extrême attention à ce qui bruit, ce qui reste en échos, ce qui se sent et ne peut se dire. Lolomis dispose de tout cela. Le meilleur moyen de s’en assurer est de tenter cette expérience si revigorante : l’écoute de Red Sonja. »
Louis-Julien Nicolaou
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